Football Congolais : Entretien avec Issey Yemet ETÉKA, bénévole Responsable Communication et Marketing de l’Athletic Club de Ouenzé
NDEMBOMAG.com a décidé de donner la parole aux acteurs du football congolais, pour décrypter leur métier et découvrir ce qui les fait avancer ou stagner au quotidien. Entraîneurs, formateurs, recruteurs, agents, joueurs et beaucoup d’autres auront droit à la parole, pour mieux comprendre les réalités de notre football. En novembre dernier, parole avait été donnée à Mr. Issey Yemet ETÉKA, bénévole Responsable Communication et Marketing de l’Athletic Club de Ouenzé
Présentez-vous
Salutations aux amis lecteurs de NDEMBOMAG. Je me nomme Issey Yemet ETÉKA. Je suis né à Brazzaville et viens de fêter mes 35 ans.Je vis en France où je suis arrivé avec mes parents à l’âge de 2 ans. J’y ai fait toute ma scolarité. Après l’obtention de mon Baccalauréat Économique et Social, j’ai exploré le Droit, l’Économie et la Gestion à l’Université.
Ensuite, j’ai travaillé dans la vente d’articles de sports pour la pratique du basketball, puis pour la célèbre firme américaine à la virgule, pendant près de 7 ans au total. Enfin, j’ai trouvé ma voie en reprenant des études et en obtenant un Bachelor (Licence, Bac +3) dans la Gestion de la Paie et RH.
J’exerce désormais le métier de Conseiller (ou Gestionnaire) Paie et RH au sein d’un cabinet d’expertise comptable. J’ai la charge d’un portefeuille d’entreprises clientes du cabinet, pour qui je gère l’édition des bulletins de paie, les déclarations sociales et les questions de Ressources Humaines. En parallèle, je suis le Responsable Communication et Marketing (bénévole) de l’Athletic Club de Ouenzé. J’aimerais insister sur le terme de bénévole car ça en dit long sur mon niveau d’engagement et donne une indication des moyens actuels du club, à mon sens.”
Qu’est-ce qui vous a poussé à vous lancer dans le monde du football et le sport en général ? Quel a été l’élément déclencheur ?
Un seul terme me vient spontanément à l’esprit et c’est la passion
C’est cette passion pour le sport et ses valeurs qui m’a poussée à mettre les mains dans le cambouis pour aider à ce que le sport congolais retrouve ses lettres de noblesse (football en tête). Le sport de haut niveau suscite une fascination et une immense admiration de ma part.
Le sport est une organisation complexe dont le seul objectif est la recherche de performance en permanence. De plus, le sport est l’une des rares si ce n’est la seule activité humaine, à pouvoir ré-unir autant de passionné(e)s le temps d’une confrontation, tout en exacerbant les sentiments d’appartenance à un territoire, un quartier, une ville, une nation.
C’est un vaste et formidable vecteur de mobilisation sociale et culturelle qui semble sous-exploité dans mon pays natal. C’est pourquoi j’ai voulu m’engager dans un projet d’envergure pour me confronter à la réalité du terrain. Car je suis convaincu que ce n’est qu’en analysant les difficultés rencontrées et en cherchant des solutions qu’on avance sur la voie du succès.”
Comment ont été vos débuts ?
J’estime que je suis encore dans cette phase des débuts, et donc je poursuis mon apprentissage du terrain. Mais au tout début, comme on dit :
“Le plus dur n’est pas de terminer une course mais d’avoir le courage de la commencer”
Donc je pense que le sentiment le plus honnête pour qualifier mes débuts est… la frayeur. Pourquoi des débuts effrayants ? Car je voyais déjà l’ampleur du travail à fournir, simplement en observant les difficultés rencontrées par le sport congolais. Seulement, j’ai pris mon courage à deux mains pour me lancer. J’ai gardé à l’esprit que je devais faire en sorte que mes actes soient le reflet de mes espoirs, et non de mes peurs.
Quelle est votre activité principale dans le foot ?
Bien pour résumer disons que j’œuvre principalement à donner une image d’un rendu le plus professionnel possible au club de football de l’AC Ouenzé. Bien que mon implication ne se limite pas à cela, c’est en tout cas mon rôle principal dans l’organisation mise en place par le Président Freddy Rodrigue EKOUEME. Mais la vraie question au fond qui, j’espère, sera abordée plus tard, est le pourquoi…
Installé en France, que pouvez-vous nous dire du monde du foot ? Organisation et professionnalisme du foot ? Les clubs ?
Selon moi, le football professionnel français fait partie de ce qui se fait de mieux en Europe. Il n’y a qu’à constater les résultats obtenus par l’équipe nationale tricolore pour en juger. La France fait indéniablement partie des plus grandes nations du football mondial. Les joueurs stars et les jeunes pépites françaises ont notamment régulièrement une valeur importante sur le mercato. Le système de formation à la française est reconnu partout dans le monde du sport, et obtient des résultats probants.
Pour le football, c’est un système reposant sur l’INF Clairfontaine et les centres de formation des clubs professionnels. Mais n’oublions pas qu’au-delà des moyens financiers consentis, le préalable est et restera toujours, la volonté de s’organiser pour s’inscrire dans un processus de recherche permanente de performance.
Pour leur part, les clubs français sont en pleine mutation pour intégrer pleinement la dimension business du sport professionnel. Ce serait bien trop long à expliquer en détail dans une interview… mais retenons ceci : c’est en cherchant à augmenter leurs revenus, que les clubs se dotent des moyens pour faire régulièrement de bons parcours sur la scène continentale.
Le championnat générant le plus de revenus en Europe (droits télé, merchandising, billetterie, etc. …) est la Premier League anglaise. En 2019, les finalistes de l’UEFA Champions League et de l’UEFA Europa League étaient tous des clubs anglais.
Je pense (et ce n’est plus à prouver) qu’il y a une forte corrélation entre les revenus générés et les performances sportives des clubs. En continuant de travailler sur l’attractivité et l’augmentation des revenus de ses clubs, la Ligue 1 française s’engage sur une voie de prospérité et de succès. J’en suis persuadé.”
Quel est votre avis sur l’état du football au Congo ? Fédération ? Niveau du championnat ? Organisation des clubs ?
Il est difficile de répondre objectivement à ces sujets car nous manquons cruellement de données et d’informations fiables pour donner une analyse fidèle de l’état actuel du football congolais. Cependant, en me basant sur ce que j’observe dans mon quotidien avec l’Athletic Club de Ouenzé, je peux déjà dire que le Congo est encore bien éloigné des standards français quant à l’organisation du sport amateur.
Et pourtant, dois-je le rappeler, c’est bien le sport amateur qui demeure la base d’une pratique sportive, quelle qu’elle soit. Concernant le football au niveau supérieur de compétition, je ne parviens pas à déceler un business model assurant la pérennité des actions à mener.
Partant de ces constats, et sans autres données fiables, comment juger pertinemment la Fédération, le niveau du championnat ou même l’organisation des clubs (?). Tous les sportifs et passionnés de sport vous le diront : il faut toujours regarder les résultats pour estimer s’il y a une progression ou pas.
Et ce qu’on observe c’est que le football congolais dans son ensemble (des clubs jusqu’à la sélection des Diables Rouges) a pu faire par le passé quelques exploits notables ; mais il ne parvient ni à maintenir dans la durée un haut niveau de performance, ni même à poser les bases d’une progression constante. C’est pourquoi l’idée de chercher à bâtir une Institution pérenne et durable, m’a tant séduit avec le projet de l’AC Ouenzé.
Quelle est la maturité des clubs de football congolais, selon vous, par rapport à ce que vous voyez en France ? Et même en Afrique ?
À l’heure actuelle et en se basant sur leurs résultats, les clubs de football congolais ne sont pas encore entrés dans l’ère du sport professionnel. Il y a par exemple, un manque criant de rationalisation des infrastructures sportives. Alors que pour moi, le Congo n’a pas à rougir de ses installations sportives mais plutôt de leur manque d’entretien…
En effet, il paraît difficile de voir éclore des centres de performances sportives à travers le pays, sans une optimisation de l’utilisation des terrains d’entraînements, un entretien au moins régulier et une mise aux normes des stades. Donc par rapport à la France, il y a de toute évidence trop de fondamentaux qui ne sont pas encore maîtrisés. Et au sein même de l’Afrique, le Congo n’est clairement pas dans le wagon de tête.
Quand on compare les championnats africains, les clubs les plus avancés en Afrique subsaharienne se trouvent en Afrique du Sud. C’est aussi là-bas que le secteur du Divertissement semble le plus développé. Personnellement, je n’y vois pas une simple coïncidence.”
Que faut-il faire, selon vous pour rendre le football congolais professionnel, attractif et rentable ? (3 questions en une seule : 3 réponses attendues !)
Il y a énormément à faire… tellement que ça peut donner des maux de tête et paraître insoluble parfois. Et c’est justement l’ampleur de la tâche qui m’a tant effrayée au départ. Pour être le plus concis possible, mon exposé reposera d’abord sur deux éléments clés du succès de toute entreprise. Il s’agit de la vision (sous entendue, sur le long terme) et de l’engagement.
Avoir une vision claire de ce qu’on souhaite voir se réaliser dans les années à venir, nous oblige à identifier en amont les différentes étapes nécessaires à cette réalisation. Il faut savoir qu’en ce moment même, en France, des enfants nés en 2010 sont formés, suivis et accompagnés pour espérer éclore dans le football professionnel à l’horizon de la Coupe du Monde de 2030.
Conscients de cela, demandons-nous ce qui empêche le football congolais d’en faire de même pour la CAN 2029 ?
C’est là qu’intervient la notion d’engagement. Car j’entends déjà les personnes qui répondront que c’est le manque d’argent qui empêche le Congo de réaliser tel ou tel projet. Et je ne néglige en rien cette réalité financière. Seulement je me demande vraiment si le manque de moyens financiers empêche de s’engager et de s’organiser pour réaliser un objectif ?
Ce que je sais, c’est que par la force de son engagement, de son travail et de sa discipline, un jeune garçon de Brazzaville nommé Serge IBAKA, a fait de son rêve de NBA, une réalité. Il en est même devenu champion en 2019. C’était 12 ans après le début de sa carrière professionnelle en Espagne.
Donc avant tout plan d’action pour rendre le football congolais professionnel, attractif et rentable, il faut au préalable une vision sur le long terme et de l’engagement de la part de tous les acteurs impliqués. Ceci étant dit, je soumets ici une idée pour chaque point. Pour un football congolais :
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- Professionnel : créer (ou redonner sa place à) une Instance qui pilote, règlemente et gère les activités du football congolais du championnat national de Ligue 1, à l’instar de la LFP en France
- Attractif : médiatiser le spectacle sportif qui devra se tenir dans des enceintes entretenues et
mises aux normes de la CAF - Rentable : capter une audience qui générera des revenus en merchandising, billetterie et
diffusion audiovisuelle.
Ce qui finira par attirer les annonceurs et sponsors qui souhaiteront gagner en visibilité, et associer leurs marques au football. N’est-il pas possible d’entamer cette transition avec les moyens dont dispose déjà actuellement le Congo ?
Je m’en tiens ici aux points à développer dans la question. Seulement il reste tant de sujets cruciaux à aborder. Il nous faudrait, par exemple, un plan global sur la formation du footballeur et des dirigeants (aussi bien techniques qu’administratifs) du football au Congo.
Aujourd’hui encore, je me demande ce qu’il advient du CNFF ou même du CESD La Djiri ? Quand pour rappel, l’INF Clairefontaine avant basé à Vichy existe quant à lui depuis 1972. Avec l’équipe dirigeante de l’AC Ouenzé, nous ne prétendons pas avoir la science infuse, ni même savoir exactement ce qu’il faut faire.
Je pense simplement, qu’il ne peut nous être enlevé le mérite de chercher des solutions et de travailler pour améliorer les choses à notre niveau. Le chemin à emprunter nous sera révélé en avançant.”
Quelles sont vos ambitions dans le monde du foot au Congo ?
Comme énoncé précédemment, mon souhait est que le Congo retrouve ses lettres de noblesse. Mon ambition est de contribuer à ce que le football congolais se hisse au plus haut niveau du continent. Les talents et l’envie au sein des passionnés congolais ne manquent pas.
Donc avec une solide vision, du travail et de l’engagement, nous pourrons un jour rivaliser avec les meilleurs. Mamelodi Sundowns, TP Mazembe, la sélection Sénégalaise ou même encore la sélection Camerounaise de Football…
Pour tous ces grands d’Afrique noire, c’est d’abord la volonté, le travail et l’organisation d’un groupe d’individus passionnés, qui conduisent à l’afflux de moyens (financiers et humains) et au succès. Je pense que le Congo et l’Afrique gagneront à ce qu’il y ait encore plus de concurrence à l’avenir.”
Vous verrez vous président de la FECOFOOT ?
“Tout est tellement politisé au Congo que je redoutais cette question… À croire qu’on ne peut pas émettre un avis ou s’exprimer sur un sujet, sans qu’on nous prête des ambitions “politiques”.
Je veux vivre la fierté de voir le Congo sur le devant de la scène panafricaine du football (et plus largement du sport). Et ce qui sera encore plus jouissif, c’est de savoir que j’y ai participé activement. Dans quel rôle ? Là où mes compétences et idées seront les plus utiles. Ceux qui apprennent à me connaître, savent que les hautes fonctions, titres ou distinctions personnelles, ne m’intéressent pas particulièrement.
Ce qui compte pour moi, c’est l’influence que je peux avoir sur un résultat positif, important voire même décisif. Comme l’ensemble des dirigeants de l’Athletic Club de Ouenzé, ce serait un honneur pour nous d’être humblement amenés à collaborer avec les décisionnaires du sport congolais.”
Que pensez-vous du Magazine NDEMBOMAG.com ?
Je me réjouis de l’initiative du Magazine NDEMBOMAG.com. Je trouve, en effet, que cette volonté de traiter l’actualité du football congolais plus en profondeur, est profitable au secteur des médias. Le Congo a besoin qu’un grand média spécialisé émerge, à l’instar de l’Équipe en France, par exemple. Cela participe à une plus grande médiatisation du football et du sport.
NDEMBOMAG.com est un site internet à jour, ce qui se fait de plus en plus rare pour un média congolais. Cela assure une présence qualitative sur la toile et permet le relais de l’information auprès de la diaspora. Ce point est primordial, car le sport congolais a besoin de la plus large audience possible pour, à terme, générer des revenus durables. Je souhaite donc longue vie et prospérité au magazine.
Nous vous laissons conclure. La parole est à vous !
“Engagez-vous !
Faites le d’abord par passion. L’argent affluera plus tard, avec la qualité de ce qui aura été accompli. Le football congolais a besoin de toutes ses forces vives et compétences pour poursuivre son rêve de gloire.
L’engagement est ce qui transforme une promesse en réalité, disait Abraham Lincoln.
En rejoignant bénévolement le projet de l’Athletic Club de Ouenzé, en août 2022, je me suis engagé à ce que la page Facebook dépasse les 3000 fans avant la fin de l’année 2022. Quand nous avons dépassé cet objectif, il y a plus de 1800 fans à réagir à notre publication de remerciements (le 11 septembre 2022).
Nous comptons aujourd’hui 5000 fans, alors que nous nous apprêtons à jouer les Playoffs en D2 de Brazzaville. Tout est une question de Discipline, Rigueur et Travail. Pour nos réalisations, je tiens à remercier l’intégralité du club de l’ACO. Aux joueurs, au staff technique, au bureau des dirigeants et au Président Freddy Rodrigue EKOUEME, un grand merci pour la confiance qu’ils m’accordent. Je suis fier et heureux de vivre cette aventure au sein de la grande famille de l’AC Ouenzé.
Merci à NDEMBOMAG.com de m’avoir donné la parole.
Longue vie au football et au sport congolais. Le meilleur est à venir !